La FBI de l’allié-e : Beach Body Ready de Madmoizelle

On parlera ici uniquement de ce qui concerne le fat shaming ou la grossophobie. Plusieurs autres problématiques d’oppressions sont présentes dans la chanson / clip, mais nous parlons de ce qui  nous concerne, sans éluder le reste.

 

Madmoizelle est un magazine féminin à tendance féministe. On y trouve parfois d’excellents articles, notamment de vulgarisation de notions féministes ou de réactions féministes à l’actualité. Mais on y trouve aussi parfois de vraies fausses bonnes idées, comme la chanson Beach Body Ready :

 

 

De quoi est il question ?

Être beach body ready, c’est être prêt-e pour la plage. Cette expression, souvent employée par les magazines féminins pour vendre leurs numéros sur les régimes ou par l’industrie de la minceur pour vendre des diètes, est désormais reprise par bon nombre de militant-es de la body positivity (le fait d’avoir un regard bienveillant et positif sur son corps). De nombreux memes sont sortis à ce sujet comme celui-ci, cherchant à montrer qu’il suffit d’avoir un corps, n’importe quel corps, pour avoir le corps qu’il faut pour aller à la plage. Le message est intéressant et source d’empowerment : n’attendons pas d’avoir un corps parfait selon la norme pour profiter de la plage, et plus largement de la vie.

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Madmoizelle s’empare donc de ce message pour son hit de l’été, une chanson dont on se passera d’étudier les qualités musicales pour se concentrer sur son message, et plus particulièrement sur le clip. C’est plutôt une bonne idée, on peut imaginer que le lectorat principal de Madmoizelle est particulièrement ciblé par les oppressions : sexisme, body shaming, racisme, validisme … Et qu’un message qui fait du bien juste avant l’épreuve du maillot de bain, c’est toujours bon à prendre. Oui mais non.

Si tous les corps sont soumis aux injonctions de la société, jeunes, vieux, minces, gros, poilus ou non, il  ne faut pas oublier qui sont les premier-es à souffrir de ces injonctions, et mesurer l’impact sur les vies des concerné-es. Ainsi, un corps de moins de 25 ans, d’une taille de pantalon classique, souffrira beaucoup moins de l’oppression de la dictature du corps parfait qu’une individu de 35 ans qui chausse du 58. C’est un constat. Cela existe. Cela ne cherche pas à nier les oppressions subies par les corps normé-es : épilation, fermeté, forme de la fesse, forme de la poitrine etc etc. Cela met juste en lumière que les personnes qui s’éloignent de la norme sont proportionnellement oppressées. On aurait donc aimé que Madmoizelle combatte proportionnellement les oppressions là aussi. Mais ce n’est pas le cas.

 

  • Le problème de la chanteuse / du chanteur

Elle-il est très beau. Ils-Elles sont très belles. Ils-Elles ont un corps normé, sont « hype », sont parfaitement normé-es. Et c’est tant mieux. Pour eux. Mais les voir nous déclamer l’évangile de la body positivity, ca chatouille. Je ne doute pas que Madmoizelle posséde un fichier rempli de talents de tous horizons et de toutes tailles. Pourquoi choisir des gens si normé-es pour cette chanson ? Pourquoi ne pas se servir d’une plateforme qui fonctionne pour mettre en lumière le travail de genTes et donc de corps véritablement concerné-es et oppréss-ées ? Je ne remets pas en cause les histoires personnelles de Marion et d’Ivan avec leurs propres corps, ils-elles ont sans doute subi des oppressions, et ont du s’en libérer. Mais en terme de représentation et de message sur un média tel que Madmoizelle, fallait il vraiment encore choisir de faire chanter le gospel de l’oppression par deux personnes aussi classiquement normé-es ?

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  • Le problème même du Beach Body Ready, aka le body shaming et l’invisibilisation des oppressions

Le body shaming (ou la honte du corps) est l’oppression qui concerne tousTes les corps. Elle consiste à impliquer que nos corps ne sont jamais assez parfaits pour être dans la norme. C’est une oppression très violente et culpabilisante, et elle recouvre un territoire très vaste. On peut subir du body shaming pour la forme de son nez, pour la courbe de ses hanches, pour sa maigreur, pour ses cheveux … bref, tout ce qui ne corresponds pas à l’idéal sur papier glacé d’une société hétéropatriarcale.

Si le body shaming est vécu par tousTes, d’autres oppressions spécifiques sont vécues par des corps différents. Le sujet qui nous intéresse chez Gras Politique, c’est la grossophobie. C’est une oppression systémique subie par les personnes gros-ses (et non pas jugé-es gros-ses par Elle ou Marie Claire), qui s’étend dans tous les domaines de la vie : discrimination à l’embauche, discrimination dans le parcours de l’accès aux soins médicaux, violence verbale et micro agressions constantes, difficultés à s’habiller, précarisation etc. La grossophobie tue.

Ainsi si les corps normé-es peuvent s’inquièter d’être beach body ready, les corps qui sont confront-ées à la grossophobie s’inquiètent de trouver un maillot, s’inquiètent d’être rue ready quand il s’agira d’affronter les moqueries, d’être gynecologue ready quand on leur refusera un parcours de procréation médicalement assistée à cause de leur poids. Les corps qui subissent la grossophobie doivent être prêt-es, tout le temps, dans l’espace privé (famille, ami-es) comme dans l’espace public, à se défendre pour avoir le droit d’exister. Mais pour revenir à la plage, c’est un territoire miné pour les individus qui subissent de la grossophobie, nombreux-ses sont celles-ceux qui renoncent complétement à la mer ou à la piscine, car c’est un véritable parcours du combattant.

En ne mettant pas l’accent sur la proportionnalité de l’oppression subie, en ne choisissant pas de faire de différence entre le body shaming et la grossophobie, Madmoizelle contribue à silencier et à invisibiliser les victimes de grossophobie. Mais nous ne pouvons pas honnêtement incriminer Madmoizelle pour cela, tous les mouvements body positive le font. Les photos taguées #bodypositive concernent le plus souvent des corps qui sortent à peine ou pas du tout de la norme, et on érige dans ce mouvement  une nouvelle norme de ce qu’on attend d’un corps : un peu dodu, mais pas gros, bien dessiné, mais pas trop mince, piercé et tatoué si possible … Et les corps victimes de grossophobie se taisent, subissant une nouvelle fois l’oppression dans un mouvement censé les apaiser et leur faire du bien.

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  • Le problème du refrain

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« Les calories sont mes amies donc le fond et la forme je m’en fous »

Le mouvement  Body Positive touche en très grande partie des genTes qui sont confronté-es à des troubles du comportement alimentaire. Il suffit de se balader dix minutes sur Tumblr pour comprendre à quel point la relation avec la nourriture et l’alimentation est problématique pour beaucoup. Anorexie, boulimie, hyperphagie, ces maladies pourrissent le quotidien de milliers de personnes. Et détruisent aussi leur image d’elles-mêmes. Elles sont donc les premières à avoir besoin d’un message positif, loin de leurs pathologies.

En ce qui concerne la grossophobie, elle s’accompagne toujours d’un message culpabilisant pour la personne gros-se et son alimentation. On présume qu’elle mange ‘de la merde », qu’elle est inactive et qu’elle avale les chips sur son canapé, etc. Les calories ne sont pas nos amies. Elles sont nos ennemies jurées, souvent depuis l’enfance. Nous subissons les remarques de notre entourage sur ce que nous mangeons, les remarques des étrangers sur nos paniers au supermarché. Nous aimerions être dans une relation apaisée avec les calories, mais la société ne nous le permet pas.

Alors répéter « les calories sont mes amies » dans le refrain d’une chanson prétendument body positive ? Comment dire ? C’est à minima contre productif. Et cela peut être source de souffrance pour beaucoup. Et cela conforte la société dans l’idée que l’image du corps a un rapport direct avec la façon de se nourrir, et donc avec le poids.  #FAIL.

Le problème du clip

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Les personnes qui jouent dans le clip ont été trouvées via un appel diffusé par Madmoizelle. Celles-ceux qui apparaissent sont majoritairement blanc-hes et normé-es du point de vue de la taille et de la largeur. On constate l’apparition éclair d’une personne qui sort de la norme pondérale. Mais l’impression qui domine c’est une chouette bande de copains-copines blanc-hes cisgenres et normé-es qui se préparent à aller à la plage. C’est un peu chiche en terme de représentativité pour un message  body positive non ?

Madmoizelle a été interpellé sur son fil Facebook concernant le manque de représentation de personnes racisé-es dans le clip. Nous aurions pu  faire la même chose en parlant de personnes gros-ses, et nous aurions sans doute eu la même réponse.

Voilà la réponse : « Y’a eu un grand appel publié sur le twitter de mad et de Marion, toutes celles et tous ceux qui voulaient venir pouvaient venir ! On n’a refusé ni obligé personne à participer… vous pouviez venir aussi ! \o/ »

Cette réponse est problématique :

  • cela sous entend que c’est aux personnes les plus opprimées de se mobiliser pour exister, et non pas aux autres de créer des espaces pour leur permettre d’exister
  • cela sous entend que Madmoizelle n’est pas prêt à décaler ou à revoir un planning de tournage pour s’assurer de la représentativité des corps pour un clip à message inclusif
  • cela remet la responsabilité de la souffrance exprimée sur l’invisibilisation sur la personne qui exprime cette souffrance, non pas sur la-les personne-s qui créent l’invisibilisation.
  • cela défausse complétement Madmoizelle de sa responsabilité

 

Pour conclure, on peut penser que cette chanson-ce clip fera beaucoup de bien aux personnes qui ne s’éloignent pas trop de la norme, qui ne souffrent pas de grossophobie, qui ne souffrent pas de troubles du comportement alimentaire, et qui se reconnaissent dans l’éventail restreint des représentations de corps présenté dans le clip.

On peut douter du bien que cela fera aux personnes qui se sentiront, comme nous, invisibilisé-es et silencié-es par ce clip. Nous irons quand même à la plage, ou à la piscine municipale, rassurez vous.

 

 

 

 

 

 

 

 

10 réflexions sur “La FBI de l’allié-e : Beach Body Ready de Madmoizelle

  1. Sophie dit :

    Merci de cet article. Comment toutes ces remarques n’ont pas pu leur sauter aux yeux ? Je rajouterai que les personnes de ce clip ont tous moins de 35 ans et aucun n’a de handicap. On est content qu’ils soient heureux dans leur corps, mais c’est un tantinet énervant …

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  2. Elisa dit :

    Je te trouve cette article contre-productif, dire qu’une chanson sur le body positive aurait dû être chanté par des personne sortant des « normes » persistes à dire qu’il y en a. Et c’est pourtant exatement l’inverse du body positive qui nous dit que tout corp est beau ( lorsqu’il est en bonne santé ) en plus la perception de la beauté est subjectif et les chanteurs et chanteuse de la chanson on du comme tout le monde apprendre à accepter son corp ( Marion a notamment parlée de ses complexe lié à sa petite poitrine ). En suite tu fais remarqué que le clip ne contient pas assez de grosse, mais le but de çe clip était de montrer tout les corps sans en privilégier ( meme si il est vraie qu’on voit plus celui de la chanteuse et du chanteurs ) chaque personne de çe clip à un corp qui est tout de même bien loin de çe qu’on voit habituellement à la télé sans oublié qu’il ont du faire avec les moyens du bord. « Les calories sont nos amie » ils ont raison; c grâce à elles qu’on est en vie, et c’est pour ça que certaine d’entre nous sont grosses, par ce qu’elles sont en vie donc elles mangent. C’était une manière de nous rappelé qu’on a pas a les détestés et qu’elle ne sont pas forcément la cause de nos rondeure, chacun a sa propre morphologie et son propre métabolisme. Au final je trouve que cet article ( pas dans sa globalité ) ne fait qu’encourager les opressions car il donne l’impression que les grosses sont un sujet à part et qu’elle doivent êtres traiter différemment, ou bien que Marion du fait qu’elle est mince et épilé n’a aucune raison de çe plaindre…

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  3. Pauline alias JP dit :

    Bonjour,
    Je ne suis pas d’accord avec votre article, parce que vous hiérarchisez la souffrance. Sous prétexte qu’une personne est plus grosse qu’une autre elle souffrirait plus de la grossophobie ? La souffrance est propre à chaque personne et doit être exprimée et évaluée par ladite personne. Cet article me met mal à l’aise, le combat contre la grossophobie devrait être représenté que par des gros ? C’est comme si vous disiez que les blancs ne peuvent pas dénoncer le racisme, c’est un non sens ! Quelle belle avancée de faire un clip qui dénonce le fat shaming avec (entre autres) des personnes minces.
    Quant à cette histoire de calories, c’est une blague ! C’est justement parce qu’on nous rabâche qu’il faut les compter !

    Hello Pauline !

    On pense que t’as pas du tout lu l’article ! Mais merci pour ton commentaire !

    Gras Politique

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    1. colors dit :

      Oui, il y a une hiérarchie dans la souffrance, même dans la rapport au corps : il y a les complexés par leur corps à cause de la société (et c’est nul, j’en fais partie)… et ceux maltraités par la société : maladies dangereuses et souvent mortelles liés aux troubles alimentaires) et maladies « banales » où les gens en réel surpoids sont moins bien soignés par les médecins qui travaillent mal et qui mettent tout sur le compte de l’obésité ou méjugent les risques. Et ces gens en meurent aussi, souvent. (Par exemple : une personne obèse peut en réalité avoir un corps anorexique et mourir de son anorexie alors qu’on la félicite sur sa perte de 10 kilos ! Le médecin… et la société verra la perte de poids et pas les conséquences mortelles sur sa santé.)
      Sans compter que c’est personnes dont aussi discriminées quotidiennement.
      Je suis mal dans mon corps mais je peux m’habiller dans un magasin connu type camaïeu même si je me trouve grosse. Quand je vais à macdo personne ne me fait de réflexion sur ce que je mange. Quand je vais chez le médecin, on ne me parle pas de perte de poids comme si je n’étais qu’un chiffre sur une balance. Si je veux avoir un enfant par procréation assistée, on ne m’expliquera pas que ce n’est pas pour les gens obèses. Qu’affirme je suis en soirée, personne ne m’explique bien gentiment sans que j’aie rien demandé quel régime miracle et quel sport faire alors que j’ai en réalité un problème hormonal qui ne se règle pas si facilement et que j’ai déjà une alimentation équilibrée et que je fais déjà du sport.
      Donc oui la société a des progrès à faire pour tous mais ne pas représenter une partie de la population entière parce que d’autres ont des problèmes similaires, c’est minable. C’est se voiler la face.

      Et les calories… ce n’est qu’une unité qui quantifie l’énergie dont on a besoin pour vivre. Dire aux gens de moins manger, c’est leur dire de consommer moins d’énergie et de prendre moins de place dans l’espace où ils vivent. Ça ne devrait pas être un mot de contrôle sur le corps et la beauté…

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  4. Lia dit :

    Bonjour !
    Merci pour cet article, très intéressant et bien expliqué. J’ai vu le fil de commentaire sous l’article de madmoizelle et j’ai trouvé leurs réponses incroyablement violentes et condescendantes…

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  5. Gudule dit :

    – « bande de (…) cisgenres » : vous n’en savez rien, ce n’est pas tatoué sur leur front.
    –  » tousTes les corps » : Déjà que « gens » est un terme FÉMININ pluriel dont il ne s’agit que de rétablir l’usage au lieu de bâtir un néologisme, dans ce cas précis vous venez de vous tirer la plus grotesque des balles dans le pied. OH MON DIEU AU SECOURS UN TERME GRAMMATICALEMENT MASCULIN JE SUIS OPPRESSÉE! */dramaqueen*

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  6. Sabine dit :

    Cet article est maintenant déjà un peu vieux, je souhaite néanmoins laisser un commentaire pour vous dire qu’il est très bien et que les diverses réactions qu’il a suscité (cf. commentaires plus hauts) m’ont faite bouillonner. Oui tous les corps subissent des normes de beauté culpabilisantes et oppressantes (si si elles existent bien…) et évidemment que plus le corps d’une personne s’éloigne de cet idéal plus il est opprimé et discriminé ! En tout cas merci pour vos articles, j’en ai lu quelques uns, ils me permettent de me rappeler que mon corps valide, Cis, relativement blanc et mince est privilégié peu importe mon ressenti face au miroir.

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  7. VERNAY Marie-Hélène dit :

    Arrivée tardive d’une grosse (et vieille) sur le site (et grâce au reportage de France Info https://www.francetvinfo.fr/societe/grand-format-je-ne-me-soigne-plus-a-cause-des-medecins-des-patientes-denoncent-la-grossophobie-medicale_2551559.html qui cite Gras Politique. Votre papier, y a un peu de tout dedans et ça fait écho, grosso-modo (ha ha) à nos préoccupations à tou.te.s. Merci, donc. Après on peut gloser à l’infini sur la chanson en question (que je ne vais même pas écouter), car en effet ça ne fait que déplacer la problématique où elle ne doit pas être.
    Un tout petit détail : l’oppression donne les opprimé.e.s et non les oppressé.e.s. On est oppressé.e lorsqu’on ressent une gêne dans la respiration, un essoufflement. C’est un verbe qui renvoie à des manifestations physiques.Opprimé.e.s, ce sont celleux qui sont maintenus par leurs oppresseurs dans un état où ils subissent l’oppression. Il me semble important de bien utiliser les mots pour ne pas donner à nos contempteurs des billes pour nous mépriser.
    Merci à Gras Politique d’exister, dommage que ce ne soit que parisien, mais peut-être, un jour, les régions…

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